Qui a dit : "Les dopés courent la tête à l'envers avec un corps pollué. " ?

Aller tout en bas au dernier message - Répondre au message - Retour au forum sur la course à pied

Qui a dit : "Les dopés courent la tête à l'envers avec un corps pollué. " ? par Steph (invité) (83.154.67.xxx) le 10/01/06 à 14:19:47

L'Express du 07/09/2000
Haïlé Gebreselassié
«J'ai toujours dû courir pour vivre»

propos recueillis par Paul Miquel

«Il est aux antipodes de ces athlètes sortis des usines à champions et couverts de sponsors. D'ailleurs, il ne se soigne qu'avec du thé et du miel et vit en famille.» Edward Pressman et Terrence Malick, les producteurs du film Endurance, sont tombés sous le charme. En fait, de sa foulée légère, Haïlé Gebreselassié les a littéralement envoûtés. Le résultat de leur rencontre a donné un film de 84 minutes retraçant la vie du coureur africain, jusqu'à son triomphe d'Atlanta. Réalisée par le Britannique Leslie Woodhead, cette saga bigarrée, à mi-chemin du documentaire sportif et de la fiction hollywoodienne, raconte «l'histoire vraie d'un champion olympique hors du commun». Haïlé Gebreselassié a tenu à interpréter son propre rôle, une vingtaine de membres de sa famille complétant ce casting inattendu. Le film sort le 13 septembre 2000 en France. Dix-sept jours plus tard, à Sydney, «Gebre» devrait remporter sa deuxième médaille d'or olympique. Un timing presque parfait

Une foulée aérienne,
un sourire de lutin…
Haïlé Gebreselassié est considéré comme le plus grand coureur de fond du siècle. Propriétaire de nombreux records du monde, champion olympique en titre et quadruple champion du monde du 10 000 mètres, le «petit homme vert» - comme on le surnomme dans le milieu sportif - a presque tout gagné. Né il y a vingt-sept ans à Arssi, un village perdu dans la brousse éthiopienne, il s'est passionné pour l'athlétisme lors des Jeux de Moscou, transistor rivé à l'oreille, en écoutant les exploits de Miruts Yifter. Vingt ans plus tard, il veut décrocher un second titre olympique, à Sydney. Sur une piste, sous ses faux airs de lutin, «Gebre» semble insaisissable. Mais, quand il quitte ses pointes,notre homme est plus charitable qu'un franciscain. Depuis trois ans, il a investi 42 millions de francs à Addis-Abeba et créé plusieurs écoles.

Au départ d'un 10 000 mètres, vous êtes facilement reconnaissable. Vous mesurez 1,65 mètre et vous êtes habituellement le plus petit athlète du groupe de coureurs. Mais c'est surtout votre sourire qui vous distingue de vos adversaires. Paradoxalement, après votre victoire aux Jeux d'Atlanta, en 1996, votre visage s'est embrumé de larmes. Quel souvenir gardez-vous de cet instant?
Ce jour-là, je ne sais pas pourquoi j'ai pleuré. J'étais certainement trop heureux pour sourire. Après cette finale du 10 000 mètres, à Atlanta, j'ai vécu le moment le plus fort de ma carrière et, peut-être, de ma vie. Parfois, quand je suis stressé ou préoccupé, je pense encore à cette médaille d'or. Mais des litres d'eau et de larmes ont coulé sous les ponts depuis les Jeux d'Atlanta.


Votre vie a-t-elle beaucoup changé depuis cette médaille d'or?
Quand vous établissez un record du monde, vous savez qu'il s'agit d'un succès éphémère qui pourra durer deux, cinq ou peut-être dix ans. Guère plus. Etre champion olympique est différent. Vraiment, cela n'a rien à voir. On prend tout de suite une autre envergure. En 1996, je suis devenu une personnalité de premier plan en Ethiopie. Maintenant, ce que je dis est écouté et ce que je fais est décortiqué. Revers de la médaille: je n'ai plus de vie privée. A Addis-Abeba, je n'ai pratiquement plus aucun moment d'intimité. Un jour, dans la rue, une jeune fille est venue vers moi et m'a demandé un baiser. Visiblement, elle ne savait pas que j'étais en compagnie de mon épouse. J'ai rougi de timidité, mais ma femme était d'accord. Alors... je l'ai embrassée. Avec Alem, ma femme, c'était une plaisanterie entre nous, mais je crois que nous ne nous serions pas mariés si j'étais revenu d'Atlanta bredouille. Je voulais me marier avec une médaille olympique autour du cou.


A quelques jours des Jeux de Sydney, avez-vous le sentiment d'être meilleur qu'en 1996?
Oui, c'est une certitude. En 1996, j'étais bon mais pas parfait. Aujourd'hui, je ne suis toujours pas parfait, mais je me sens plus fort qu'il y a quatre ans. Depuis que j'ai recommencé à m'entraîner, en janvier dernier, j'ai suivi un programme de moine, exclusivement centré sur les Jeux olympiques. Mais, pour la première fois de ma carrière, j'avais été blessé, après les mondiaux de Séville, et j'ai dû fournir des efforts énormes pour revenir à mon meilleur niveau. A la fin de l'année dernière, pendant deux mois, j'ai passé de sales moments. C'était la première fois que mon corps ne répondait plus. J'ai eu peur de ne plus pouvoir effectuer mon retour. Vous savez, pour un sportif, la blessure est la pire des catastrophes. J'ai failli tout abandonner. Mon médecin m'expliquait que j'avais besoin de repos. Mais, pour moi, le repos n'est pas un bon traitement!


Vous êtes déjà champion olympique, double recordman du monde (12'39''36 sur 5 000 mètres, 26'22''75 sur 10 000 mètres) et aussi quadruple champion du monde du 10 000 mètres. Un film, Endurance, retrace désormais votre vie et vous êtes un businessman accompli. Quelle saveur pourrait bien avoir une deuxième médaille olympique à Sydney?
C'est très simple: deux médailles seraient bien mieux qu'une seule. Et trois beaucoup mieux que deux! Le public ne voit que la partie émergée de l'iceberg, mais être régulier sur une période de quatre ans est phénoménal. Avant de passer au marathon, j'ai aussi envie de faire un grand coup... sans compter que je dois aussi défendre mon titre. J'aime gagner. Mais certaines victoires de meeting me laissent insatisfait. Notamment quand je gagne sans exploser un record. Cela dit, aux JO, seule la victoire comptera. Pas le chrono.


Aux championnats du monde de Séville, en août 1999, vous avez remporté la finale du 10 000 mètres alors que vos compatriotes Mezgebu Assefa et Girma Tolla vous ont poussé au train. Jusqu'à la fin de la course, on avait même l'impression qu'ils pouvaient vous battre mais qu'ils n'osaient pas...
C'est peut-être vrai. Mon palmarès me permet d'imposer certaines choses. En Ethiopie, tous les athlètes de haut niveau s'entraînent ensemble. Nous sommes environ une vingtaine: il y a les spécialistes du 5 000, du 10 000 et les marathoniens. Et, forcément, nous sommes très soudés. Les autres athlètes m'écoutent attentivement quand je leur explique un point de détail pendant les entraînements. Lors des stages en forêt ou en altitude, ils respectent mes recommandations. Du coup, on peut dire que j'ai une certaine autorité sur eux. En fait, je suis devenu leur entraîneur.


Vous êtes le «chef» du groupe...
Oui, si vous voulez. Mais, dans une guerre, si un général prend une mauvaise décision qui provoque la mort de plusieurs soldats, ses hommes peuvent se retourner contre lui. Je vis avec cette peur, avec ce drôle de sentiment de responsabilité à leur égard.


Mais vos meilleurs partenaires d'entraînement auraient-ils le droit de vous battre, s'ils le pouvaient?
En compétition, mes compatriotes ne se posent pas toutes ces questions. S'ils ont la possibilité de me dépasser, ils le feront. Ils sont loyaux avec moi, mais pas stupides! Lors des entraînements en forêt, en revanche, ils n'osent pas me doubler car ils ne connaissent pas le trajet!


Vous avez annoncé votre désir de devenir marathonien après les Jeux de Sydney. Pourquoi?
En fait, je rêve maintenant de rééditer les exploits d'Abebe Bikila [double champion olympique du marathon en 1960, à Rome, et, en 1964, à Tokyo]. Et puis, en Ethiopie, le marathon est la discipline la plus populaire du pays. Les gens sont fous quand il s'agit de marathon. Si je pouvais courir pieds nus, comme Bikila, comme quand j'étais enfant, je le ferais. Mais il me semble impossible aujourd'hui de courir un marathon sans chaussures et d'être performant.

«Les dopés, ils courent la tête à l'envers avec un corps pollué»


Pour certains, la victoire se gagne aussi dans les pharmacies. Et, même si le Comité international olympique (CIO) doit procéder à des contrôles pour déceler l'EPO, l'ombre du dopage planera sur la baie de Sydney. Que faudrait-il faire pour éradiquer ce fléau?
A mon avis, il faudrait tester tous les athlètes. Sans exception. Personnellement, j'y suis prêt. D'ailleurs, si on veut me prélever deux litres de sang, pas de problème. Le dopage est partout, tout le monde le sait. Ce qui me choque, c'est l'injustice qu'il produit: tous les athlètes ne jouent plus à égalité. Ce que les dopés ne comprennent pas, c'est qu'ils se trompent de chemin. Ils courent la tête à l'envers avec un corps pollué. Mais je ne veux pas y penser, car, sinon, je pense immédiatement à la défaite. Alors, non, je préfère ne pas y penser.


Et le plaisir de courir, vous y pensez? Votre vie a été rythmée par la course. Avez-vous, un jour, couru pour votre plaisir?
Quand j'étais gosse, je courais sans arrêt. Il fallait que je coure pour aller à l'école, qui se trouvait à 10 kilomètres de mon village. Il me fallait aussi courir pour aller chercher l'eau dans la vallée voisine ou pour rassembler les vaches et les chèvres dans l'étable de la ferme familiale. En fait, j'ai appris à courir comme d'autres apprennent à marcher. J'ai toujours été obligé de courir pour vivre. Mais, curieusement, je ressens un immense plaisir quand je trottine. Oui, c'est ça... Physiquement, mes foulées me procurent un sentiment indescriptible de puissance. Comme si mon corps était envahi par une force qui partirait de la plante de mes pieds pour ensuite gonfler et remonter jusqu'à mon cerveau. En compétition, ce plaisir est atténué par les enjeux sportifs, mais, pendant les entraînements, je le ressens pleinement. C'est presque une drogue.


Cette légende africaine des enfants obligés de courir dès leur plus jeune âge est aussi utilisée par les athlètes kényans, qui sont de redoutables coureurs de fond et de demi-fond. Un jour, pourtant, vous avez affirmé qu'en Ethiopie les enfants allaient à l'école en bus...
En effet, c'est généralement ce qui se passe en Ethiopie. Mais à Arssi, dans mon village natal, il n'y avait pas de route ni de chemin... et encore moins de bus! Je n'ai jamais eu la possibilité d'aller à l'école en autocar. De toute façon, aucun véhicule ne peut accéder à Arssi. Même pas les 4 x 4! C'est beaucoup trop escarpé. Là-bas, si vous n'aimez pas les randonnées pédestres, vous pouvez toujours vous balader à cheval ou à dos de mule. En revanche, la voiture, il faut l'oublier.


Dans le film Endurance, une scène vous montre en train de savourer l'exploit de votre compatriote Miruts Yifter en finale du 10 000 mètres des Jeux de Moscou, en 1980. Assis sous un arbre, vous vivez cette victoire par procuration, l'oreille vissée au transistor de votre père. Tout semble être parti de là...
J'étais le seul dans mon village à accorder une si grande importance aux résultats de Miruts Yifter pendant ces Jeux. Les gens aimaient bien le sport, mais, bon, ils s'en fichaient un peu! Pour moi, c'était différent. Avec du recul, d'ailleurs, je me demande pourquoi cet athlète m'a tant impressionné: j'étais tout simplement galvanisé. En 1980, je n'avais que 7 ans, mais j'étais fier de ce sportif éthiopien qui battait régulièrement les Occidentaux. Je rêvais de lui ressembler. Et c'est grâce à lui que j'ai commencé à m'entraîner.


Quand avez-vous gagné votre première course?
J'avais 15 ans, et c'était au lycée. Il s'agissait d'un 1 500 mètres et j'avais battu tous mes adversaires alors qu'ils étaient plus âgés que moi. Dans les tribunes, tout le monde m'applaudissait et j'entends encore la foule qui riait de voir un petit bonhomme comme moi mener par le bout du nez des coureurs confirmés. Tout le monde était étonné. Moi le premier! Depuis, je n'ai pas beaucoup grandi et j'ai toujours bénéficié d'un soutien inconditionnel de la foule.

« Quand je ne cours pas, j'essaie d'être généreux»


A 17 ans, vous avez quitté la ferme familiale pour tenter votre chance à Addis-Abeba, mais votre père ne vous a jamais encouragé, car il trouvait ce choix de vie insensé. Comment avez-vous vécu cette rupture?
Quand j'ai annoncé à mon père que je voulais rejoindre mon frère dans la capitale, en 1991, il s'est opposé à mon départ. Il ne voulait pas que je quitte la ferme, mais je suis parti quand même. A l'époque, il a été choqué et déçu par mon comportement. Mon père n'a jamais vraiment compris pourquoi je m'obstinais à courir sans raison, matin et soir. Pour lui, le sport n'était qu'un passe-temps, un amusement. Il ne comprenait pas qu'une activité sportive puisse être lucrative. En fait, il a toujours voulu me faire changer d'avis. Il voulait que je devienne avocat ou instituteur. Pour lui, recevoir un salaire du gouvernement éthiopien tous les mois était certainement la meilleure des choses qui pouvait m'arriver. Mais il a viré sa cuti en 1993, quand je suis revenu des championnats du monde de Stuttgart au volant d'une Mercedes que j'avais gagnée en même temps que mon titre mondial. Il n'en croyait pas ses yeux. A partir de ce moment, mon père est devenu mon premier supporter.


A votre arrivée à Addis-Abeba, tout n'a pas été facile. Vous veniez de la campagne. Votre intégration n'a pas dû être une partie de plaisir. Avez-vous songé à faire machine arrière?
Non. Mon rêve était de devenir un champion et ma décision était irrévocable. J'avais une tête de mule! Même si je n'avais pas réussi à percer dans l'athlétisme, je ne serais pas revenu à Arssi. Travailler dans une ferme, au milieu de nulle part, je ne connais rien de plus dur. La façon traditionnelle de vivre des paysans éthiopiens est très ingrate, oppressante. C'est aussi la raison pour laquelle j'ai quitté mon village. Pour fuir cette vie qui ne me convenait pas.


Votre frère a également fui la ferme d'Arssi. Mais plus loin: il est désormais néerlandais, comme votre manager, Jos Hermens. A l'instar d'un grand nombre d'athlètes cubains, chinois, marocains ou russes, avez-vous songé un jour à changer de nationalité?
Non, jamais je ne l'ai envisagé. D'ailleurs, pourquoi changerais-je de nationalité? Je ne suis pas un mercenaire du sport et j'aime profondément mon pays. Si je voulais devenir américain, allemand ou même français, je suis persuadé que cela ne poserait aucun problème administratif. Je pourrais même le faire demain. Mais cela ne m'intéresse pas.


Double champion olympique à Moscou, Miruts Yifter reste votre héros éthiopien. Il y a quelques années, après avoir critiqué le gouvernement, il s'est exilé au Canada. Avez-vous compris son choix?
Non, pas vraiment. Miruts Yifter a toujours été mon inspirateur. Il est un exemple pour moi. Avant qu'il s'exile, il était mon conseiller informel, mais, maintenant, je n'ai plus de nouvelles de lui.

«L'Ethiopie n'a pas besoin d'armes ni de champions, mais de pain et d'éducation!»


La politique, ça vous intéresse?
Que je le veuille ou non, j'ai désormais une responsabilité politique en Ethiopie. Je ne veux pas - et je ne peux pas - fermer les yeux quand le gouvernement de mon pays prend de mauvaises décisions. Lorsque cela arrive, je tente de rencontrer un ministre pour lui expliquer mon point de vue. Et, croyez-moi, je n'ai pas ma langue dans ma poche!


Ils vous écoutent?
Je ne vous donnerai pas de détails, mais ça arrive. En Occident, certains pensent que l'Ethiopie est gangrenée par la corruption, mais ce n'est pas forcément le cas. Comme tout citoyen, j'ai mon mot à dire. Mais ce que je peux faire de mieux pour mon pays, c'est courir et remporter des victoires. Quand je ne cours pas, j'essaie d'être généreux.


De quelle manière?
Au début, je voulais faire l'aumône, mais c'est illusoire. Je préfère désormais offrir du travail. Et le bâtiment est la meilleure des solutions. Depuis trois ans, je procure donc du boulot à une centaine de personnes. On a débuté il y a trois ans et le premier immeuble, qui se dresse sur Asmera Road, à Addis-Abeba, est terminé. J'ai aussi construit des écoles et des centres de formation en informatique et en langues étrangères. Et j'ai un autre projet immobilier dans mes cartons. J'aurais pu me construire un palace, mais je ne l'ai pas fait car j'ai le sentiment d'avoir une responsabilité envers mes compatriotes. L'Ethiopie n'a pas besoin d'armes ni de champions, mais de pain et d'éducation!


Votre médaille d'or d'Atlanta est exposée dans une église à Addis-Abeba. Quatre ans plus tard, vous êtes encore le grand favori du 10 000 mètres. Que ferez-vous de votre prochain trophée olympique?
Si, grâce à Dieu, je gagne le 10 000 mètres aux Jeux de Sydney, je pense que je garderai cette médaille d'or chez moi. [Il éclate de rire.] Mais je vous donnerai plus de détails après la course...

Répondre au message - Retour au forum sur la course à pied

Forum sur la course à pied géré par Serge